Marches arrêtées
C’est que tu n’es pas seul à attendre ici. À se demander si à Nantes, un rendez-vous au centre ville est forcément fixé devant la Fnac.
C’est marrant.
En arrivant, alors que tu cherches du regard le minois de ta grisette, s’offre à toi un spectacle pour le moins surprenant. Des yeux aux aguets, des épaules qui balancent, des moitiés de couple qui fixent l’horizon comme des suricates à l’affût du danger, des cous gyrophares, une armée de culbuto qui tanguent avec cette persuasion étrange que le chancèlement affine la perception.
T’as l’impression que les marches de la FNAC sont un immense purgatoire.
On peut aisément distinguer s’il s’agit de personnes en retard où en avance. On discerne même celui qui commence à se dire qu’il va se manger un méchant lapin. La diversité des expressions sur les visages des « rancardés en transit » installés sur la même marche donne l’impression d’un tablar de masques.
Une fois arrivé aux pieds des escaliers, en un mouvement, qui consiste à te retourner et offrir la vison de ton fessier aux agents de sécurité de la FNAC installés en amont (ils n’ont pas à se plaindre, les babouins font la même chose en signe de respect), tu rejoins la secte. Et tu regardes devant. T’attends. Tu t’es intégré.
D’ici, on a une vision de toute la place Commerce. Il n’y a pas à dire, il y a de jolies filles à Nantes. Si les femmes sont sexy en été, elles sont élégantes en hiver.
Un sourire blond emmitouflé dans un bonnet de laine blanc avance à pas convaincus. Un homme se détache de la grappe et s’en va rejoindre celle qui constitue à la fois la cause et la conséquence de son attente. Une embrassade. Des rires. Des doigts qui s’étreignent. Ils s’en vont.
Assister à cette scène aura des effets différents sur l’assemblée d’orphelin temporaire. Il y a ceux qui s’angoissent de ne jamais quitter ce parvis. Ceux là se servent de leur téléphone portable. Il y a les impassibles, confiants sachant pertinemment que c’est une question de temps.
Et puis il y a moi, qui n’attendais personne.
Je voulais juste m’arrêter en ce lieu de pèlerinage du rencard, musée de l’exorde des idylles, devant lequel je passe tellement souvent sans désormais plus m’y arrêter.